AàC: L’objet livre et les avant-gardes littéraires et artistiques dans les espaces germanophones et nord-européens de 1945 à nos jours

Appel à contribution pour un colloque international : 18-19 octobre 2024 (Strasbourg) / deadline AàC : 31/12/23

Organisation : Raphaël Jamet et Aurélie Le Née – MCF à l’Université de Strasbourg

Argumentaire

Strasbourg sera la capitale mondiale du livre selon l’UNESCO en 2024, ce qui est l’occasion d’organiser un colloque sur les liens entre l’objet livre et les avant-gardes :

Comment l’objet livre interroge-t-il le concept d’avant-garde ?

Comment les avant-gardes interrogent-elles l’objet livre ?

Dans sa « Recommandation concernant la normalisation internationale des statistiques de l’édition de livres et de périodiques » du 19 novembre 1964, l’UNESCO proposait la définition suivante du livre : « Un livre est une publication non périodique imprimée comptant au moins 49 pages, pages de couverture non comprises, éditée dans le pays et offerte au public. »[1]

Si cette définition plutôt restrictive semble adaptée pour déterminer des critères clairs de classification des publications, d’autres définitions offrent une acception bien plus large du livre, comme par exemple dans l’introduction de l’Histoire du livre en Occident de Frédéric Barbier : « nous comprendrons sous la définition de livre tout objet imprimé, indépendamment de sa nature, de son importance et de sa périodicité, ainsi que tout objet portant un texte manuscrit et destiné, au moins implicitement, à une certaine publicité. »[2]

Cette acception semble particulièrement pertinente dans le contexte de l’avant-garde où les publications de revues, mais aussi de tracts ou de petits fascicules sont courantes. Publication, texte ou objet : ces définitions interrogent à leur manière une certaine matérialité du livre. Frédéric Barbier rappelle d’ailleurs l’étymologie du terme dans les langues latines (du latin liber : « la pellicule d’un arbre entre l’écorce extérieure et le bois proprement dit »)[3] et dans les langues germaniques (du vieil haut allemand bokis : le hêtre).[4]

Cette matérialité joue un rôle central dans la création moderne et d’avant-garde, y compris dans son rapport au livre, conduisant à la définition de sous-catégories comme le livre de peintre, le livre d’artiste, le livre-objet, à propos desquelles Pascal Fulacher précise :

“Au-delà du livre d’artiste, apparaît le livre-objet, où textes et images, après avoir recherché la connivence dans le livre de peintre puis la fusion dans le livre d’artiste, participent à l’élaboration d’une troisième dimension, voire s’effacent derrière l’objet-livre comme pour rappeler la matérialité de celui-ci et son volume dans l’espace.”[5]

Ainsi le livre devient-il un objet d’art à part entière, dans toute sa matérialité, tandis que la période plus récente avec le numérique offre à l’expérimentation artistique et littéraire de nouveaux terrains de jeu. On le voit, la définition du livre en tant qu’objet est ouverte à diverses approches, tout comme l’est celle des avant-gardes.

Dans l’introduction de Béatrice Joyeux-Prunel à Naissance de l’art contemporain 1945-1970,

“les avant-gardes sont […] définies comme des groupes se prétendant novateurs, ou considérés comme tels, et qui furent parfois réellement à contre-courant des pratiques artistiques dominantes de leur époque.”[6]

Cette appréhension assez large, contrairement à l’incontournable Théorie de l’avant-garde de Peter Bürger qui cantonne cette dernière, communément appelée « avant-garde historique », au dadaïsme, au surréalisme des débuts et à l’avant-garde russe après la révolution d’Octobre[7], nous semble plus intéressante pour aborder la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale qui est celle choisie pour ce colloque.

Cette acception permet d’englober des productions aussi diverses que le pop art, le mouvement Fluxus, CoBrA, l’actionnisme artistique (actionnisme viennois), l’Internationale Situationniste et particulièrement ses sections scandinaves, la littérature expérimentale, la poésie concrète, les créations éditoriales (notamment scandinaves avec OEI, CHATEAUX, Forlaget Virkelig, H Press, etc) jusqu’à la poésie slam ou l’art algorithmique dont les centres se situent parfois en dehors de l’espace germanophone ou nord-européen, mais qui connaissent une réception dans ces espaces, posant, voire dépassant la question de la relation entre centre et périphérie,[8] parallèlement à celle des tensions entre culture dominante et contre-culture.[9]

Axes

Dans ce contexte, deux grands axes, correspondant à deux focales, sont proposés ainsi qu’un axe transversal. Les propositions devront porter sur les aires germanophones et nord-européennes et sur une période allant de 1945 à nos jours.

Axe 1 :

Comment l’objet livre interroge-t-il le concept d’avant-garde dans les sphères germanophones et nord-européennes ? En prenant comme centre de l’étude une ou plusieurs œuvres, on s’interrogera sur la manière dont les objets livres définissent, contournent ou redéfinissent le concept d’avant-garde de façon explicite ou implicite.

Les sources peuvent être de différentes natures et amener à des réponses différentes : on pourra s’interroger sur les publications en série (revues, périodiques, journaux, …), sur les collections, sur les livres d’artistes et livres-objets, voire sur des formes qui sortent des classifications habituelles (tracts, création numérique, …).

Cet axe pourrait être également l’occasion de s’interroger sur l’influence du marché du livre sur la (auto)qualification d’avant-garde d’un artiste[10] ou d’un groupe d’artistes. Ainsi, on pourrait questionner la tension entre les livres d’artiste présentés comme œuvres avant-gardistes et la production marchande de catalogues ou de recueils de ces mêmes artistes. On pourrait également se demander dans quelle mesure les nouveaux usages du numérique et des supports papier jouent un rôle dans la (auto-)définition des artistes d’avant-garde.

Axe 2 :

Comment les avant-gardes interrogent-elles l’objet livre dans les sphères germanophones et nord-européennes ? En prenant comme focale les positions (par les œuvres ou par des théories) d’un artiste, poète ou groupe artistique d’avant-garde, on s’interrogera sur les conditions matérielles – d’existence et de diffusion – des œuvres étudiées.

Cela pourrait être l’occasion de s’intéresser aux réflexions sur la non-linéarité des formes et des formats, la non-adaptabilité de certaines œuvres au format traditionnel du « livre » et pourrait amener à découvrir ce que le numérique peut changer dans ces approches anticonformistes. Les positions des artistes et poètes pourraient également éclairer les hégémonies culturelles dans le marché de l’art et des publications.  Cet axe accueille également des réflexions sur les motivations commerciales derrière la production de certains livres, les enjeux de confidentialité, d’exclusivité pour certains textes, notamment dans leurs modes de diffusion ou bien les circulations et réappropriations des textes, des objets de ou dans les cercles politiques.

Enfin on pourra se demander s’il y a des artistes qui théorisent une définition du livre dans leurs textes ou œuvres, en prenant ou non position par rapport à l’avant-garde historique, la postmodernité ou les néo-avant-gardes. On pourra s’intéresser alors aux réseaux et formes de publication de ces théories et prises de position.

Axe transversal :

Toutes ces interrogations et ces sources étudiées croisent à un moment donné notre propre position en tant chercheur et chercheuse sur ces sujets. En effet, comment rendre compte linéairement – dans un texte scientifique – d’un objet qui ne l’est pas ? Comment trouver un équilibre dans ses travaux et approches lorsque l’on réinstitutionnalise par sa position académique des objets anti-institution ? Quelles nouvelles perspectives ces focales sur l’objet livre ouvrent-elles sur les questions souvent re-battues des avant-gardes ? Ces problématiques pourraient être intégrées aux réflexions menées dans les axes 1 et 2, mais peuvent aussi faire l’objet d’une communication plus générale en épistémologie de l’histoire de l’art, de la littérature, … en s’appuyant sur des œuvres ou théories des aires étudiées.

 Ces axes constituent des pistes non-exhaustives et cet appel reste ouvert à des études pouvant porter sur des problématiques connexes.

Informations pratiques :

Merci d’envoyer vos propositions de communication (300 mots en français ou en anglais) ainsi qu’une courte bio-bibliographie à Raphaël Jamet (rjamet[@]unistra.fr) et Aurélie Le Née (lenee[@]unistra.fr) avant le 31/12/2023. Les communications de 20 minutes pourront être données en français ou en anglais. L’appel est ouvert également à la participation des doctorants et doctorantes. Une publication est prévue et sera discutée lors du colloque. Si vous souhaitez montrer des objets livres un espace d’exposition éphémère est prévu pendant le colloque, avec un temps fort dans l’après-midi du 19 octobre.

Cet événement scientifique est porté par l’UR1341 Mondes Germaniques et Nords-Européens (MGNE).

Bibliographie sélective :

Apollon, Daniel, Philippe Régnier, et Claire Bélisle. L’édition critique à l’ère du numérique. Socio-économie de la chaîne du livre 9. Paris: l’Harmattan, 2017.

Barbier, Frédéric. Histoire du livre en Occident. Nouvelle éd. Mnémosya. Malakoff: Armand Colin, 2020.

Bartsch, Kurt. Avantgarde und Traditionalismus. Kein Widerspruch in der Postmoderne?, Innsbruck: Studien Verlag, 2000. 

Benhamou, Françoise. Le livre à l’heure numérique : papier, écrans, vers un nouveau vagabondage. Paris: Seuil, 2014.

Bennett, Andy. « Pour une réévaluation du concept de contre-culture ». Traduit par Jedediah Sklower. Volume !. La revue des musiques populaires, no 9 : 1 (15 septembre 2012): 19‑31. https://doi.org/10.4000/volume.2941.

Berg, Hubert van den, éd. A Cultural History of the Avant-Garde in the Nordic Countries : 1900 – 1925. Avant-Garde 28. Amsterdam: Rodopi, 2012.

Brogowski, Leszek. Editer l’art : le livre d’artiste et l’histoire du livre. Essais d’esthétique. Chatou: Éditions de la Transparence, 2010.

Bourseiller, Christophe et Olivier Penot-Lacassagne : Contre-cultures !, Paris : CNRS éditions, 2013.

Bürger, Peter. Theorie der Avantgarde, Göttingen : Wallstein Verlag, 2017 (1. Aufl. 1974, Suhrkamp). 

Chartier, Roger, et Jean Lebrun. Le livre en révolutions : entretiens avec Jean Lebrun. Paris: Textuel, 1997.

Eveno, Patrick. La presse quotidienne nationale : fin de partie ou renouveau? Paris: Vuibert, 2008.

Febvre, Lucien, Henri-Jean Martin, et Frédéric Barbier (postface). L’apparition du livre. Nouv. éd. Bibliothèque de l’Évolution de l’humanité 33. Paris: A. Michel, 1999.

Fischer-Lichte, Erika, Klaus Schwind (Hrsg.). Avantgarde und Postmoderne: Prozesse struktureller und funktioneller Veränderungen, Tübingen: Stauffenburg, 1991. 

Foster, Hal. Le retour du réel. Situation actuelle de l’avant-garde, Bruxelles : La lettre volée, 2005. 

Fouché, Pascal, Daniel Péchoin, et Philippe Schuwer, (dir.). Le livre : dictionnaire terminologique des métiers du livre. Paris : Éditions du Cercle de la librairie, 2016.

Fulacher, Pascal. Six siècles d’art du livre : De l’incunable au livre d’artiste. Paris: Citadelles & Mazenod : Musée des lettres et manuscrits, 2012.

Hecken, Thomas. Gegenkultur und Avantgarde 1950-1970, Tübingen: Narr Francke Attempto Verlag, 2006.

Hjartarson, Benedikt, Andrea Kollnitz, Per Stounbjerg, et Tania Ørum (ed.). A cultural history of the avant-garde in the Nordic countries 1925-1950. Avant-garde critical studies, volume 36. Leiden ; Boston: Brill Rodopi, 2019.

Hjartarson, Benedikt, Tania Ørum, Camilla Skovbjerg Paldam, et Laura Luise Schultz, (ed). A cultural history of the avant-garde in the Nordic countries since 1975. Avant-garde critical studies, volume 41. Leiden ; Boston: Brill, 2022.

Joyeux-Prunel, Béatrice. Naissance de l’art contemporain. 1945-1970. Une histoire mondiale, Paris : CNRS Éditions, 2021.

Mareuge, Agathe, Sandro Zanetti (dir.). The Return of DADA / Die Wiederkehr von DADA / Le Retour de DADA, Dijon : Les presses du Réel, 2022.

Moeglin-Delcroix, Anne. Esthétique du livre d’artiste : 1960-1980 : une introduction à l’art contemporain. Nouv. éd. rev. et Augm. Paris : Mot et le reste : Bibliothèque nationale de France, 2011.

Piault, Fabrice. Le livre : la fin d’un règne. Au vif. Paris: Stock, 1995.

Roberts, John, Revolutionary Time and the Avant-Garde, London / New York, Verso, 2015.

Veivo, Harri. « Le dialogue complexe entre le national et l’international dans la poésie d’avant-garde finlandaise des années 1960 », Études finno-ougriennes [En ligne], 43 | 2011, mis en ligne le 05 mars 2014, consulté le 23 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/efo/148 ; DOI : https://doi.org/10.4000/efo.148

Veivo, Harri. La poésie d’avant-garde en Finlande 1916-1944, Caen : Presses universitaires de Caen, 2022.

Veivo, Harri (dir.). Transferts, appropriations et fonctions de l’avant-garde dans l’Europe intermédiaire et du Nord,. Paris : L’Harmattan, 2012.

Zima, Peter V., Johann Strutz (Hrsg.). Europäische Avantgarde, Frankfurt am Main : Peter Lang, 1987. 

Zima, Peter V.. Moderne / Postmoderne. Gesellschaft, Philosophie, Literatur, Tübingen ; Basel: A. Francke Verlag, 2001 (2. überarbeitete Auflage, 1. Auflage: 1997). 

Ørum, Tania, et Jesper Olsson, éd. A cultural history of the avant-garde in the Nordic countries 1950-1975. Avant-garde critical studies, volume 32. Leiden ; Boston: Brill / Rodopi, 2016.

[1]https://www.unesco.org/fr/legal-affairs/recommendation-concerning-international-standardization-statistics-relating-book-production-and [17.04.2023]

[2] Frédéric Barbier : Histoire du livre en Occident, Malakoff, Armand Colin 2020 [12000], p. 9.

[3]Ibid., p. 7.

[4]Ibid.

[5] Pascal Fulacher : Six siècles d’art du livre. De l’incunable au livre d’artiste, Paris, Citadelles & Mazenod, 2012, p. 245.

[6] Béatrice Joyeux-Prunel : Naissance de l‘art contemporain 1945-1970. Une histoire mondiale, Paris, CNRS Éditions, 2021, p. 9.

[7] Peter Bürger: Theorie der Avantgarde, Göttingen, Wallstein Verlag, 2017 (1. Aufl. 1974, Suhrkamp), p. 167.

[8] Voir par exemple Harri Veivo (dir.) : Transferts, appropriations et fonctions de l’avant-garde dans l’Europe intermédiaire et du Nord,. Paris, L’Harmattan, 2012 ou Tania Ørum, « The Post-War Avant-Garde in the Nordic Countries ». In A Cultural History of the Avant-Garde in the Nordic Countries 1950-1975,Brill, 2016, p.1‑46

[9] Voir par exemple Christophe Bourseiller , Olivier Penot-Lacassagne  : Contre-cultures !, Paris, CNRS  éditions, 2013. Bennett, Andy. « Pour une réévaluation du concept de contre-culture ». Traduit par Jedediah Sklower. Volume ! La revue des musiques populaires, no 9 : 1 (15 septembre 2012): p. 19‑31.

[10] Artiste est compris ici au sens large et inclut les écrivains et les poètes.

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