La saga des rois de Danemark – Knýtlinga saga. Traduite du norrois et présentée par Simon Lebouteiller. Toulouse, Anacharsis, 2021.
La Saga des Knýtlingar représente à plus d’un titre un témoignage important sur l’histoire du Danemark médiéval, et plus généralement de la Scandinavie et des régions avoisinantes à cette époque. Rédigée en Islande entre 1235 et 1300 — probablement durant les années 1250-1270 —, elle raconte l’épopée des souverains danois sur deux siècles et demi, des premiers rois chrétiens de l’époque viking à l’année 1187. Associant récits historiques et légendaires, elle dépeint les règnes de personnages emblématiques tels que Haraldr à la Dent Bleue, qui se convertira au christianisme et imposera la nouvelle foi à son royaume unifié au Xᵉ siècle, ou Knútr le Grand qui s’emparera également des trônes d’Angleterre et de Norvège au XIᵉ siècle, se constituant de cette manière un véritable « Empire de la mer du Nord ».
Près d’un tiers du récit est aussi consacré à la seule figure de saint Knútr (1080-1086), premier seigneur danois canonisé et personnage central dans cette généalogie, à l’image de saint Óláfr en Norvège. C’est une histoire particulièrement dense et mouvementée qui est relatée dans cette saga : l’affirmation lente et difficile de la royauté, les nombreux troubles avec les chefs locaux et les luttes fratricides pour le pouvoir, les expéditions vikings et les relations parfois conflictuelles avec les royaumes voisins, l’émergence de la sainteté royale, les croisades dans le Wendland…
La Saga des Knýtlingar est parvenue jusqu’à nous à travers plusieurs manuscrits et une multitude de fragments, dont certains datent d’environ 1300, répartis en deux versions : un groupe A contenant le texte complet, et un groupe B dont l’histoire commence avec le règne de Sveinn Ástriðarson (1047-1076). L’auteur anonyme a disposé de sources variées, écrites et orales, pour composer son œuvre. Souvent, le récit fait écho à des textes monumentaux tels que la Heimskringla de Snorri Sturluson ou les Gesta Danorum de Saxo Grammaticus, mais il se démarque aussi en apportant des informations inédites sur les carrières des rois danois. En l’occurrence, sur les quelques soixante strophes scaldiques retranscrites dans le texte, près de cinquante n’apparaissent nulle part ailleurs.
La Knýtlinga saga est aussi une belle illustration de la vitalité de la production littéraire dans la Scandinavie médiévale, et tout particulièrement en Islande. Le XIIIᵉ siècle a d’ailleurs été souvent désigné comme un véritable Âge d’or de la littérature islandaise. Dès la fin du XIIᵉ siècle, les habitants de l’île se sont en effet lancés dans un impressionnant mouvement de création, les sagas en étant l’élément le plus représentatif. Ces œuvres en vieux-norrois, au style si particulier, tout en concision et en économie lexicale et syntaxique, nous relatent avec force dramatique les accomplissements de figures historiques mémorables, même si le genre ne rechigne pas à puiser dans un fond légendaire, voire fabuleux. À la croisée entre tradition orale et culture lettrée, elles répondent à un souhait délibéré d’instruire, d’exposer un passé grandiose et — il faut insister sur cet aspect — de divertir lecteurs et auditeurs.
Traduite pour la première fois en français, la Saga des Knýtlingar constitue un témoignage précieux pour découvrir ce patrimoine littéraire et comprendre les dynamiques politiques qui ont traversé le Nord médiéval. Cette publication, qui s’accompagne d’une introduction présentant l’œuvre et de nombreux commentaires explicatifs, s’adresse aussi bien au grand public qu’aux chercheurs et étudiants.
Le traducteur : Docteur en histoire médiévale et spécialiste de la Scandinavie, Simon Lebouteiller a enseigné l’histoire et les études nordiques dans les universités de Caen, d’Oslo et à la Sorbonne.