Représentations et pratiques de la nature : pays nordiques et germaniques

En adoptant une perspective diachronique et interdisciplinaire (études culturelles, histoire et civilisation, littérature comparée, linguistique cognitive), ces journées d’études se consacrent aux représentations et aux pratiques de la nature dans les espaces nordiques et germaniques entre le Moyen Âge et l’époque contemporaine. Qu’elle soit un élément minéral ou végétal, le lieu d’une expérience sensorielle, un topos littéraire ou un symbole politique, la nature est une surface de projection de représentations multiples qui viennent nourrir des récits et des pratiques individuels et collectifs. En appréhendant les dichotomies nature/culture, objet/sujet, homme/animal comme étant historiquement situées, il s’agit d’étudier la nature comme un espace en restructuration permanente, modulé en fonction des représentations et des imaginaires, des découvertes techniques et scientifiques. Soumise au rythme du temps et des saisons, la nature apparaît comme un laboratoire d’étude privilégié pour questionner l’agentivité humaine et non humaine et les interactions multiples entre l’Homme et ceux qui l’entourent de l’infiniment petit à l’universel.

Programme

Lundi 21 juin 2021

Salle virtuelle ouverte à 15h30

16h : Ouverture: Harri Veivo & Annette Lensing

16h15: Premier panel

Président : Christian Bank Pedersen

Simon Lebouteiller (CRAHAM, Sorbonne Université) : « Les éléments souhaitaient accueillir la dignité du splendide souverain » : Discours politique et nature dans la Scandinavie médiévale 

Harri Veivo (ERLIS, Université de Caen Normandie) : La nature entre-les-hommes : politiques et imaginaires de la vie en plein air (Norvège, tournant du siècle)

17h45-18h Pause

18h : Second Panel

Président : Alexandre Chollet

Annette Lensing (ERLIS, Université de Caen Normandie) Der Tanz mit dem Teufel (1958) et Silent Spring (1962) : discours apocalyptique vs. catastrophisme éclairé ?

Camille Deschamps-Vierø (TELEM, Université Bordeaux Montaigne) : Du sentiment d’appartenance au lieu à la pensée de l’unité du monde : Arne Næss et Hermann Hesse.

Mardi 20 avril 2021

Salle virtuelle ouverte à 15h30

16h : Troisième panel

Président : Noémie Moutel

Jørn Riseth (ERLIS, Université de Caen Normandie) : Dépasser la notion de nature ? Une relecture de la nouvelle Le cheval de Hogget (1959) de Tarjei Vesaas.

Rea Peltola (CRISCO , Université de Caen Normandie) À la rencontre d’un bloc erratique : la conceptualisation linguistique de Kummakivi « La pierre étrange »               

17h30 : Pause

17h45 : Quatrième panel

Présidente : Louise Sampagnay

Bertrand Guest ( 3L.AM, Université d’Angers) : Alexander von Humboldt et Johann Wolfgang von Goethe dans les sciences romantiques de la nature

Hildegard Haberl (ERLIS, Université de Caen Normandie) : Goethe, une référence verte ? La métamorphose des plantes au miroir de l’écologie et de l’écocritique contemporaines.

19h15 : Clôture : Harri Veivo & Hildegard Haberl

Résumés :

Simon Lebouteiller (CRAHAM, Sorbonne Université) : « Les éléments souhaitaient accueillir la dignité du splendide souverain » : Discours politique et nature dans la Scandinavie médiévale.

Dans la Scandinavie médiévale, Dieu apparaît comme le chef d’orchestre dans l’établissement d’un ordre naturel et de ses mécanismes. Bien souvent, les textes sur les rois nordiques affirment que Dieu approuve le règne d’un souverain à travers des effets bénéfiques sur la nature. À l’inverse, un roi malfaisant est associé aux intempéries et aux catastrophes naturelles. À partir de différents exemples, nous examinerons comment les orientations politiques des auteurs ont ainsi déterminé les modes de représentation de la nature.

Harri Veivo (ERLIS, Université de Caen Normandie) : La nature entre-les-hommes : politiques et imaginaires de la vie en plein air (Norvège, tournant du siècle)

La vie en plein air – le friluftsliv –, une invention de la fin du XIXe siècle, est considérée aujourd’hui « un élément vital et central de l’héritage culturel et de l’identité de la Norvège » par le Ministère du climat et de l’environnement du pays (Melding til Stortinget 2015-2016, p. 7). L’importance de cette pratique est comparable dans les autres pays nordiques. Partant de la thèse de la philosophe allemande Hannah Ardent selon laquelle « La politique apparaît dans l’espace entre-les-hommes, et donc tout à fait à l’extérieur de l’homme » (Qu’est-ce que la politique, p. 170), j’essaierai de voir dans ma communication comment les textes fondateurs du friluftsliv ont décrit la pratique de la vie en plein air et quelle conception de la nature ils présupposent, m’intéressant notamment sur les idées contradictoires concernant l’individu et la communauté.

Annette Lensing (ERLIS, Université de Caen Normandie) Comment communiquer sur la crise environnementale et climatique ? Perspectives croisées sur Rachel Carson et Greta Thunberg

Les années 1960-1970 virent la publication d’une série d’ouvrages d’alerte environnementale qui exprimaient la peur que les problèmes environnementaux observables à l’échelle globale (épuisement des ressources, recul de la biodiversité, pollution des eaux et des sols, croissance démographique, etc.) ne précipitent la fin de la civilisation. En 1962, Rachel Carson publiait Silent Spring : dans cette fable scientifique, la biologiste américaine mettait ses contemporains en garde contre les dangers environnementaux et sanitaires liés à l’utilisation massive des insecticides. Près de 60 ans plus tard, les voix des « alerteurs » ne se sont pas tues, à l’instar de celle de l’activiste suédoise Greta Thunberg, qui depuis l’été 2018 somme les dirigeants de la planète à agir, pour enrayer la crise climatique. En adoptant une perspective comparée, cette communication éclairera les convergences et les divergences de ces deux discours sur la crise environnementale et climatique, en questionnant plus particulièrement le recours au catastrophisme comme mode de mobilisation politique.

Camille Deschamps-Vierø (TELEM, Université Bordeaux Montaigne) : Du sentiment d’appartenance au lieu à la pensée de l’unité du monde : Arne Næss et Hermann Hesse.

Penser, écrire et vivre la nature sont des actes inextricablement liés à une remise en cause de la séparation absolue entre les sciences humaines et sciences de la nature, entre la Nature et l’Homme. Les textes qui portent la pensée écologique réinterprètent la place de l’humain dans la nature et construiset une pensée fondée sur l’étude des relations et des solidarités existantes entre toutes les formes du vivant.

Arne Næss et Hermann Hesse font partie de ces auteurs qui, grâce à une pratique prolongée et intime de leur environnement naturel, formulent une pensée du monde comme entité unifiée et non fondée sur des dichotomies successives.

L’objet de la communication est de montrer comment, autour de notion telles que le Heimat chez Hesse et le Hjemsted chez Næss, les deux penseurs construisent un sentiment d’appartenance au lieu et de connexion avec le cosmos fondé sur une pratique de la nature ancrée dans une temporalité saisonnière. A partir d’une approche comparatiste, cette communication montrera comment c’est d’abord grâce à une proximité sensorielle avec leur environnement qu’éclot une pensée de l’universalité et de l’horizontalité des rapports entre humains et non-humains.

Jørn Riseth (ERLIS, Université de Caen Normandie) : Dépasser la notion de nature ? Une relecture de la nouvelle Le cheval de Hogget (1959) de Tarjei Vesaas. 

La nouvelle raconte un incident malheureux qui arrive à deux jeunes garçons et à leur cheval lors d’une sortie pour transporter du foin en montagne. La première partie de la communication portera sur la dimension spatiale du récit. L’analyse visera à montrer le potentiel subversif que comporte la description des paysages norvégiens par rapport aux discours dominants sur la nature. Dans une deuxième partie, la communication examinera la description de la relation entre les garçons et le cheval. Une étonnante communication interspécifique s’installe lorsqu’ils se trouvent dans une situation dangereuse pendant l’hiver rude du Grand Nord. Nous proposons de lire la nouvelle comme une invitation à reconsidérer notre rapport à cette nature qu’on appelle communément « les animaux ». En adoptant un mode de lecture qui accentue la réciprocité des échanges entre les garçons et le cheval de la nouvelle Le cheval de Hogget il serait peut-être possible d’envisager une vision moins hiérarchique du rapport entre les humains et les animaux.

Rea Peltola (CRISCO, Université de Caen Normandie) À la rencontre d’un bloc erratique : la conceptualisation linguistique de Kummakivi « La pierre étrange »

Située à Ruokolahti, au sud-est de la Finlande, Kummakivi (« La pierre étrange ») est un bloc erratique de grande taille (env. 7 m x 4 m x 5 m) qui s’est posé sur un petit rocher lisse et convexe au moment de la fonte de la calotte glaciaire, il y a environ 11 500 ans. La surface de contact entre les deux est tellement réduite (env. 0.5 m2) que Kummakivi semble susceptible de perdre son équilibre et de tomber de son socle au moindre toucher. La position et les dimensions physiques atypiques de la pierre, ainsi que sa situation solitaire au milieu d’une forêt de pins, invitent celui qui l’observe à lui accorder un haut degré d’individualité et à établir une relation personnelle avec elle.

En analysant des textes tirés de la presse, des blogues et des sites d’information de randonneurs, j’étudiérai les constructions grammaticales utilisées pour décrire la rencontre avec Kummakivi. S’appuyant sur le cadre théorique de la linguistique cognitive et des études biosémiotiques, la communication se concentrera sur des expressions de modalité, d’actionnalite et de relations spatiales, ainsi que les rôles sémantiques occupés par les éléments linguistiques référant à Kummakivi. La pierre apparaît comme agentive et dynamique, propriétés typiquement associées avec les êtres animés. Kummakivi peut prendre la position d’une entité pour qui les événements dans le monde importent, p. ex. celle du bénéficiaire. Sur un plan individuel, la relation entre le sujet humain et Kummakiviest envisagée comme porteuse de sens (von Uexküll 1980/2011), et la pierre, parmi les éléments de la forêt qui l’entourent, apparaît comme participant à un réseau sémiotique qui va au-delà de la construction humaine de sens (Kohn 2013).

L’expérience personnelle de la rencontre s’entrelace avec un récit environnemental collectif (voir Stibbe 2015). Ce récit partagé prend une dimension nationale lorsque Kummakivi est envisagée comme une partie de la nature finlandaise ou qu’elle est associée avec une continuité de la nation en référant par exemple à « nos ancêtres » ou aux « premiers habitants de la Finlande ».

Bertrand Guest ( 3L.AM, Université d’Angers) : Alexander von Humboldt et Johann Wolfgang von Goethe dans les sciences romantiques de la nature

Dès leur première rencontre en 1794 à Iéna (en présence du linguiste Wilhelm v. Humboldt, aîné d’Alexander, mais aussi de Schiller), les deux géants Humboldt et Goethe partagent de nombreux intérêts et principes de pensée et d’écriture, au-delà de leurs désaccords scientifiques (dans la querelle entre neptunisme et plutonisme par exemple). Tous deux se distinguent comme n’ayant pas voulu séparer les sciences de la nature (qu’ils poussaient du côté des plantes, mais aussi des couleurs, des étoiles et de l’atmosphère) et la poésie. On peut légitimement questionner, avec le recul qu’offre l’histoire des sciences et des formes littéraires, mais surtout celui d’une évolution vers la prise de conscience écologique moderne, leur épistémologie commune, marquée par un équilibre exigeant entre empirie et idéal, synthèse et analyse, observation et spéculation. Entendement, sensibilité, imagination : les facultés y coexistent sans que l’une ne semble devoir prendre le pas sur les autres. Comment comprendre leur appétit partagé pour un ensemble très composite de sciences usuellement (et de plus en plus) séparées par d’autres esprits que les leurs ? Que nous enseigne l’histoire de leur amitié créative et de leurs échanges, marquée par les dédicaces, les éloges mutuels et un dialogue jamais interrompu ? Comment représentent-ils la place de l’humain dans l’univers, et du chercheur (Naturwissenschaftler) par rapport à ce qu’il étudie ? Dans le contexte des Lumières finissantes, des romantismes allemands auxquels la part qu’ils prennent chacun est si singulière, de la Naturphilosophie (Schelling, Fichte) mais aussi du développement des sciences empiriques (et notamment de la géographie autour de Carl Ritter), pourquoi leurs trajectoires ne peuvent-elles être pleinement comprises qu’en regard l’une de l’autre ?

Hildegard Haberl (ERLIS, Université de Caen Normandie) : Goethe, une référence verte ? La métamorphose des plantes au miroir de l’écologie et de l’écocritique contemporaines.

Dans une intervention récente à l’EHESS, Philippe Descola s’est référé à Johann Wolfgang Goethe et la Métamorphose des plantes pour expliquer sa démarche dans Par-delà nature et culture (2005). L’idée de la plante originaire (Urpflanze) lui permet de penser un modèle à partir duquel sont engendrées toutes les formes réelles ou possibles dans un processus de complexification logique. Dans cette communication je prendrai cette intuition comme point de départ pour analyser l’influence des travaux sur la morphologie de Goethe dans les approches écocritiques développées ces dernières décennies. En mobilisant les outils de l’intertextualité je chercherai à prendre la mesure des références à l’œuvre aussi bien scientifique que poétique de l’écrivain allemand pour saisir les racines romantiques de ces approches.

Thème : Overlay par Kaira.